Jean-Gabriel Périot et les 200 000 fantômes de Hiroshima
Le cinéaste travaille depuis plus de dix ans autour de la mémoire de la ville bombardée le 6 août 1945. La sortie salles de “Lumières d’été” est l’occasion de revoir son court métrage.
Dix ans avant Lumières d’été, que l’on peut voir actuellement au cinéma, Jean-Gabriel Périot a réalisé 200 000 fantômes, court métrage dont sa dernière réalisation est, à l’entendre, le « remake fictionnel ». La sortie de l’un, qui accompagne un réalisateur à Hiroshima, est l’occasion de (re)découvrir cet autre film d’une dizaine de minutes, qui emprunte à l’animation son principe de montage.
A l’origine de 200 000 fantômes, mis en ligne sur l’excellent site du magazine Bref et disponible sur le site du cinéaste : la découverte, chez un libraire d’occasions, de Hiroshima, fleurs d’été, œuvre du survivant Tamiki Hara. « Je me souviens avoir eu honte en lisant ce livre, confie Jean-Gabriel Périot. Honte de ne pas savoir ce qui s’était passé là-bas. Honte d’appartenir à une société occidentale pour laquelle Hiroshima n’est rien. Mon travail est parti de là. »
Au cours des recherches, Jean-Gabriel Périot découvre des images du Dôme de Genbaku, seul bâtiment resté debout bien qu’à l’état de ruine après le bombardement du 6 août 1945. Conçu trente ans plus tôt par l’architecte tchèque Jan Letzel, l’ancien Hall de la promotion des industries de la Préfecture de Hiroshima, premier bâtiment en béton de la ville, est devenu Mémorial de la paix.
« L’idée d’un film a émergé de là. De ces photos du Dôme prises depuis plus d’un siècle et de l’idée de ruine comme court-circuit de plusieurs temps. Car je n’avais pas tant le désir d’un film sur Hiroshima, que le désir d’un film sur la mémoire de Hiroshima. Sur comment le temps passe et comment la mémoire s’efface. Un film très doux, très intime, un film pour moi, qui soit un peu comme un travail de deuil. Y travaillant, je pensais qu’il ne parlerait à personne tant il est abstrait. Paradoxalement, c’est celui de mes films qui a été le plus montré. Malgré le fait que ce ne soit rien d’autre qu’une accumulation de photographies d’un bâtiment, tout ce que j’y ai mis et qui n’apparaît pas, mais qui le tient, le structure et porte ce que j’ai lu et éprouvé au fil de mes recherches sur Hiroshima, relève du travail de l’invisibilité au cinéma, auquel je crois beaucoup. »
Profitant des outils numériques pour inscrire la représentation du dôme à la même place dans le cadre d’une photo à l’autre, montées dans un ordre scrupuleusement chronologique, le procédé qu’utilise Jean-Gabriel Périot l’avait déjà été sous une forme moins accomplie dans plusieurs de ses films passés (notamment dans 21 04 02). « On le trouve également dans le travail d’Augustin Gimel et dans des films des années 1920 », explique le cinéaste, qui s’avoue plus particulièrement touché par la réception favorable de 200 000 fantômes au Japon, où il a notamment été primé en 2007, au Japan Media Arts Festival. « J’y ai rencontré des spectateurs qui y ont vu des choses auxquels les non-Japonais ne sont pas forcément sensibles. Comme l’apparition des cerisiers en fleurs, qui suggère que l’on est dans le temps de l’après. Ou la référence au temps non-linéaire ou circulaire induite par l’irruption de la dernière photo. Pour les Japonais, le film est à la fois très mélancolique et très politique. Pour eux, une photo du dôme, c’est une photo de Hiroshima avec toute son histoire. Enchaîner des photos du dôme, c’est répéter cette histoire de manière insistante, comme une litanie. »
Vide de tout contenu didactique, 200 000 fantômes a néanmoins été montré plusieurs fois par son auteur dans des établissements scolaires. « Je suis toujours sidéré par le fait que les jeunes Français ne savent rien de ce qui s’est passé à Hiroshima, ni qu’il existe encore des bombes nucléaires, y compris en France. » C’est d’ailleurs un peu pour eux qu’il a réalisé Lumières d’été, dix ans après ce court métrage dont il partage la structure. Et pour eux qu’il pourrait — dans dix ans ? — consacrer à Hiroshima un documentaire historique plus classique et factuel. « Il en existe quelques-uns d’assez bonne tenue, mais qui n’arrivent jamais en France. »
En attendant, Jean-Gabriel Périot se rend régulièrement au Japon, où il a des amis et où il compte tourner son prochain long métrage de fiction.
François Ekchajzer
telerama.fr
31 août 2017
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